Ahlàlà, qu'est-ce qu'on peut être francophobe quand on est Allemand! Une vraie plaie - c'est ce qu'a dû se dire le critique du Magazine Littéraire après lecture d'un petit livre du philosophe allemand Peter Sloterdijk, intitulé Théorie des après-guerres. Remarques sur les relations franco-allemandes depuis 1945 (Libella/Maren Sell). Encore que je me demande si on a lu le même texte, le critique et moi. La thèse de ce livre, en fait la version écrite d'une conférence, c'est que depuis l'après-guerre, les relations franco-allemandes sont caractérisées par un désinterêt poli. Autrement dit, on n'en a (plus) rien à battre.


C'est vrai surtout dans le domaine culturel et intellectuel. Un exemple récent que j'ai pu constater: lors de l'attribution du prix Nobel à Le Clézio, le "pape" plus ou moins auto-proclamé de la critique littéraire allemande, Marcel Reich-Ranicki, a déclaré ne pas connaître le lauréat; à sa suite, des internautes allemands en ont profité pour ajouter leur grain de sel sur l'air de "je connais pas, donc c'est forcément nul". Voilà où on en est.


Cependant, Peter Sloterdijk est loin de s'offusquer de cette indifference. Après les relations, disons, passionnelles qu'ont connues et subies les deux pays depuis au moins Napoléon, ce passage à une (comme il le dit) esthétique de la négligence s'est finalement révélée bénéfique pour tout le monde. Sloterdijk nous conseille d'ailleurs - revoilà son ironie narquoise - de veiller à ce que les journaux n'envoient dans un pays comme dans l'autre que des correspondants dont on peut être sûr qu'ils vont ennuyer à mort leurs lecteurs. Ils garantiront ainsi l'amitié et l'harmonie entre les deux pays.


Et que conclut le critique de ML?

Arrivé au terme de sa conversion, Berlin ne peut, selon l'auteur, que s'éloigner de Paris. Qu'est-ce qui distingue toutefois ce parti pris d'une charge francophobe? (N° d'octobre 2008, p.45)


Excellente question (*soupir*). Accuser Sloterdijk de francophobie est assez absurde. Dans ses écrits, la référence à la pensée française est constante, et s'il est un des rares philosophes allemands contemporains dont l'oeuvre est traduite en français, ce n'est sans doute pas par masochisme. Quant à la critique d'un certain étatisme du gouvernement français actuel, elle est beaucoup plus virulente dans les textes d'auteurs français. Mais ce n'est pas la virulence de la critique qui est en cause, c'est, comme toujours dans ces cas-là, l'idée qu'il puisse y avoir quelque chose de meilleur en Allemagne. Quelle horreur. Pour éviter les malentendus, Sloterdijk ne fait pas du tout l'apologie d'une quelconque supériorité allemande, il constate surtout que la France et l'Allemagne fonctionnent de manière différente (ne serait-ce que par l'opposition centralisme vs. fédéralisme) et qu'un des deux pays ne pourra probablement plus servir de modèle à l'autre - ce dont on s'aperçoit aisément quand on observe Sarkozy et Merkel se crêper le chignon pour savoir comment gérer la crise financière.


Grand débat, longue histoire. Ceci dit, le texte de Sloterdijk est loin d'être indifférent aux relations franco-allemandes en général et aux échanges culturels en particulier. C'est justement en manifestant un intérêt critique (comme il se doit) qu'il suscite ce genre de réaction suranée de sainte nitouche, comme s'il fallait prouver qu'un peu d'eau froide suffisait encore pour réveiller les passions franco-allemandes. Sloterdijk avait pourtant disséminé dans son texte plusieurs grands panneaux clignotants "Attention: piège!", ça n'aura servi à rien: le critique du Magazine Littéraire trouve malgré tout le moyen de s'y faire prendre.



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Rubrique "c'est quoi ces lignes de Maginot?": On ne peut pas dire non plus que la thématique franco-allemande est essentielle à la rockulture des deux pays, mais il arrive que ça arrive. Dans le cas des Wir Sind Helden, c'est l'histoire d'Aurélie, une Française à Berlin qui se demande pourquoi personne ne tombe amoureux d'elle; il lui faut juste découvrir qu'il y a un petit problème d'incommensurabilité entre les manières de draguer française et allemande. Marquis de Sade faisait partie de la new wave frenchy but chic, et comme un certain nombre de collègues, ils manifestaient un goût pour toute chose germanique (influences Krautrock à la Kraftwerk, années berlinoises de Bowie, cinéma expressioniste, l'expo Paris-Berlin à Beaubourg). Ici, cet hommage à l'acteur du cinéma muet Conrad Veidt.

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