Quand je bossais dans les facs allemandes, c'est le sujet de mémoire qui nous faisait lever les yeux au ciel, maudire notre misérable existence d'universitaires et pester contre le manque d'imagination des étudiants. Camus n'y était pour rien, mais allez donc recevoir chaquecamus.jpg semestre votre lot de mémoires de maîtrise sur Camus à corriger et vous m'en direz des nouvelles. L'overdose. On se demandait d'où ça venait, cet interêt pour Camus, mais aussi pour Sartre, Beauvoir, et mis à part un souvenir de l'importance capitale qu'ont eue ces auteurs pour les soixante-huitards allemands, on ne voyait pas; surtout que, en admettant que l'existentialisme est bel et bien un humanisme, on retrouvait régulièrement dans ces mémoires Camus idéalisé en idéaliste, faut s'engager, l'homme révolté, solidarité, gnâgnâgnâ...

A la réflexion, quoi de plus radical qu'un livre comme L'Étranger? Sauf que c'est La Peste que j'ai dû lire, pour les besoins de mon atelier de philo, et j'ai assez peiné. Le style en est par moments étonnament lourdingue. Si en outre on est littéraire et tant soit peu formé aux gender studies, on s'aperçoit vite d'une chose: l'évacuation de tout élément féminin. L'épouse de Rieux est envoyé dès les premiers chapitres hors de la ville, ne restent plus que les mères-qui-ne-sont-que-cela. Comme si maintenant qu'on est entre hommes, on pouvait enfin parler de choses sérieuses. Après ça, on va encore dire que les philosophes, c'est une bande de gros sexistes (et du moins en partie, on aura raison de le dire).

On a dit que La Peste était une allégorie de l'époque nazie. Là encore, je ne pourrai pas suivre. C'est quand-même avoir une piètre idée du roman en tant que genre que d'en faire une version petit-nègre de l'essai philosophique. Toi y en a pas comprendre essai? Toi y en a lire jolie histoire avec plein de morts. C'est à bien y penser avoir également une piètre idée de la philosophie.

Edit du 17/11: Pour dissiper un malentendu, je rajoute la réponse à un commentaire de Paxti, voir le billet précédent:

En fait, mis à part le sexisme évident de "La Peste", je n'ai pas du tout voulu critiquer Camus. Le problème avec une certaine vision estudiantine de concepts tels que "révolte" ou "solidarité", c'est qu'ils en font de la métaphysique. En d'autres termes, ils en font une valeur absolue à laquelle il suffit de se raccrocher pour donner sens à la vie. Très joli, mais rien à voir avec Camus, dont la pensée est à la fois plus fine et plus complexe.

Pour Camus, le monde est absurde, c'est à dire dénué de sens et sans horizon salvateur, qu'il soit religieux ou séculaire. D'où trois comportements possibles: soit on se suicide et on a donc paradoxalement l'espoir que ça ira mieux une fois quitté ce bas-monde. Soit on se résigne et on végète sa vie durant. Soit, enfin, on se révolte: c'est à dire on accepte le monde absurde en tant que tel, et ceci nous fournit un gros avantage: puisqu'il n'y a plus ni transcendance ni futur contraignant, ça nous laisse beaucoup plus de possibilités d'agir au présent, ici et maintenant. Ces actes sont eux-mêmes sans espoir, puisque sinon nous quitterions le monde absurde pour un monde sensé et nous serions en contradiction avec nous-mêmes. Et surtout, ce ne serait plus une révolte. Vu comme ça, c'est une pensée assez radicale et ça reste assez actuel.

La solidarité, enfin, naît d'une complicité entre individus qui en sont arrivés au même constat. Elle est donc possible, mais ce n'est pas une nébuleuse préexistante, elle se crée entre individus révoltés. C'est là que j'ai quelques doutes; il me semble que dans "La Peste", la solidarité redevient malgré elle une valeur transcendante, comme si Camus faisait un pas un arrière...

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Rubrique "c'est quoi ces pestiférés?": Aucune idée d'où ils sortent, mais je suis tombé par hasard sur quelques unes des chansons de ce trio français au son électro-punk-néo-yéyé-pop-indé, donc assez éclectique. Deux chansons, issus de leurs deux album parus respectivement en 2004 et 2006.
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