Finalement, il n'y avait aucune nécessité de pourfendre Maurice Halbwachs et son concept de mémoire collective, comme je m'étais (trop) empressé de l'annoncer; sauf qu'il faut l'élargir pour y faire entrer deux façons de se souvenir, la mémoire culturelle (institutionalisée, ritualisée, comme par exemple une fête nationale) et la mémoire communicative (limitée dans le temps, à des individus qui sont là pour en parler, comme ce qui se passe quand des anciens copains de lycée se réunissent pour évoquer leurs souvenirs). J'abrège, j'abrège.

Donner une conférence à des collègues que vous côtoyez tous les jours est un exercice assez spécial. Il faut parfois mettre les bouchées doubles pour pas que ça ne parte dans tous les sens, que ça devienne du papotage de cafète (hein? non, rien à dire contre le papotage de cafète, mais chaque chose en son temps). Donc, le mieux, ce serait d'incorporer quelques bidules épate-collègues dans son discours...hum...

En philosophie, pas de problème pour trouver ce genre de bidules, qui plus est quand on a pour thème le rapport qu'il peut y avoir entre mémoire et identité. Je vous le livre tel quel: commençons par dire que nous sommes la somme de toutes nos expériences. Murmure bienveillant. Ensuite que l'on ne permettra à personne de mettre en doute notre existence, ni le souvenir de ce qu'on a vécu. Hochements de tête divers. Okay, alors un peu de scepticisme radical (version blog): donc vous croyez que vous êtes en train de me lire, assis devant votre ordinateur, dans une chambre, dans une maison, dans une ville, un pays, une planète? Erreur. Grave erreur. En fait, vous n'êtes qu'un cerveau dans un bocal rempli de formol, stimulé par des électrodes connectés à une grosse grosse machine. Tout ce que voyez, entendez, sentez vous est suggéré par cette machine. Vous n'êtes pas d'accord? Le désaccord, comble de la perversité, vous est suggéré aussi. Vous en avez marre de lire des conneries pareilles et vous éteignez votre ordi? Suggéré. Comment sortir de là?

Et là, il y a une collègue qui visiblement s'énerve. Oui, mais il y a ma volonté, dit-elle. Qui peut t'être suggérée comme tout le reste. Etc. etc. on continue comme ça pendant un moment, puis elle annonce à tout le monde qu'elle va finir par me rentrer dedans. Arf? - Ne vous en faites pas, elle s'est retenue juste à temps - mais c'est là qu'on s'aperçoit combien un certain scepticisme peut être énervant. Dans un sens, bien sûr, c'est le but. La philosophie ne doit pas être du ron-ron au coin de la cheminée, ou alors je me contenterai la prochaine fois de distribuer des albums à colorier et des crayons de couleur, et tout le monde est tranquille.

Comment sortir de là? C'est simple, on ne peut pas. C'est un dilemme insolvable. Terrible, hein? Tout au plus pouvez-vous faire appel à votre bon sens et me demander de vous épargner des scénarios de science-fiction bidon. Même si cette petite expérience mentale est antérieure à Matrix et qu'elle réapparait sous diverses formes dans tout l'histoire de la philo.

Télécharger un spécial Peter Gabriel:

Rubrique "c'est quoi ces chansons?": On a l'impression que Peter Gabriel s'est un peu fourvoyé ces dernières années, enfermé dans son studio hypersophistiqué à Bath, UK, faisant paraître des albums surproduits, nous exaspérant avec son tiersmondisme pétri de trop bonnes intentions dont nous savons que l'enfer en est pavé. On s'en mord d'autant plus les doigts qu'il y a encore un quart de siècle (oups?), Peter Gabriel sortait des albums absolument visionnaires, tant sur le plan musical que sur celui des paroles, et c'est peut-être seulement maintenant qu'on s'en rend compte. Temoin ce I Don't Remember, chanson où se manifeste l'horreur de la perte de mémoire; ou encore Games Without Frontiers, qui ironise sur les conflits de tous contre tous où chacun réclame la légitimité pour lui. Deux ans plus tard, en 1982, paraît Shock The Monkey, chanson dans laquelle on ne sait plus qui est l'homme, qui est le singe qu'on prétend choquer, au sens propre comme au figuré. Mémoire disparue, crise d'identité, légitimisme invoqué et reclamé par des instances multiples - décidément, difficile de faire moins actuel. Alors que quand ces chansons paraissent, au début des années 80, on en est encore à la guerre froide et à un équilibre somme toute assez pépère...

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