J'y suis peut-être allé trop vite, dans mes Feuilles mortes précédentes. On peut bien entendu trouver plein d'anecdotes croustillantes sur tout un tas de gens en faisant démarrer les moteurs de recherche habituels, mais il arrive aussi que des gens qui pourtant étaient bien présents il y a deux, trois ans disparaissent du net, pfouit! envolés, plus de trace... Très inquiétant...

Heather, par exemple. C'était à l'époque, au début des années 90, où j'habitais à Cologne, dans une WG, autrement dit un grand appart' qu'on se partageait à six, trois gars, trois filles. Heather avait été introduite par Jochen le batteur, on était alors en pleine phase musico. Heather n'était pas son vrai nom, elle était d'origine kéniane, avait été adoptée par un couple d'Allemands, mais "Heather", ça la jettait plus quand on est chanteuse dans un groupe de soul, les Soul Suckers. Le groupe avait atteint une notoriété locale, qu'il n'allait jamais dépasser, mais pour l'instant, ça suffisait pour enregistrer un CD live.

D'ailleurs, c'était bien sur scène que le groupe déménageait, et surtout grâce à Heather, qui, quand elle entonnait un vieux standard comme "I've Been Loving You Too Long", y mettait tellement du sien qu'on en avait des frissons jusqu'au week end suivant. Elle semblait connaître toutes les ficelles du métier. Ça lui arrivait de faire des apparitions télé comme choriste derrière un type vite oublié, et parfois elle jettait un regard sur le côté comme si quelque chose la dérangeait hors-champ. En fait, il n'y avait rien, c'était juste pour signaler que a) elle maîtrisait son boulot et que b) elle pouvait se permettre de se laisser distraire en plein chant par ce qui se passait autour d'elle. Et que c) elle se foutait éperdument du type devant elle qui se la pétait sous les projecteurs.

Quelque temps après une chambre se libérait dans la WG et elle a emménagé. Chroniquement fauchée, elle avait du mal à rassembler les sous du loyer, c'était le bordel dans sa chambre. Un producteur lui a fait enregistrer une version de "Streets of London", un maxi qui n'a pas trop marché. A l'époque, il suffisait d'être black et de traîner dans les bars branchouilles pour que n'importe quel producteur du dimanche se jettait sur vous, demandait "heu, tu chantes, aussi?" et espérait le tube galactique enregistré dans un studio miteux. J'ai quitté la WG peu de temps après, et comme il se doit, je l'ai perdue de vue.

Les Soul Suckers ont fini par se séparer. Du groupe, il ne reste qu'une page web désertée depuis longtemps. Heather a dû enregistrer un autre maxi quelques années après. Puis les traces se perdent.

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