Ma première rencontre avec le professeur Knabe avait été un fiasco sidérant. Je devais passer un oral de rattrapage en littérature française et je me suis comporté comme le parfait nigaud que j'étais alors, empilant connerie sur connerie. Quelques années plus tard, quand je suis devenu son assistant, je me suis encore demandé comment il avait fait pour ne pas me virer à grands coups de pied hors de la fac.

Je me suis demandé aussi si le fait de me bombarder assistant n'était pas un horrible malentendu. Des collègues, fraîchement engagés comme moi-même, se plongeaient avec gourmandise dans de la théorie toute neuve et jonglaient avec des termes techniques pointus dont l'importance et surtout l'utilité m'échappaient complètement. Je commençais par donner un premier seminaire sur La petite marchande de prose par Daniel Pennac; il ya eu deux étudiantes dans mon cours, qui ont eu le courage de rester jusqu'au bout. Et j'assistais tant bien que mal le professeur Knabe, qui avait un petit bureau dans une grande fac allemande, celle de Cologne.

Nous parlions souvent de musique, de foot, de notre anglophilie respective, de son goût pour tout ce qui touchait les chemins de fer, moins qu'il n'en fallait de littérature française, alors que c'était pourtant notre job. On ne se tutoyait jamais, sauf par mégarde.

Deux ans après, nous partions pour Greifswald, au bord de la mer baltique. Ça tombait bien, j'en avais marre de Cologne, et j'aimais cette tradition encore en vigueur dans les facs allemandes: le maître part, son apprenti le suit, même si je devais quitter une coloc' que j'adorais. À Greifswald, sous son ciel immense et changeant, je perdais peu à peu toute illusion concernant la vie académique. Probable que le professeur Knabe s'en rendait compte. Des cinq années passées à l'alma mater gryphiswaldensis, je gardais un pseudo, Gryphon, et je suis parti pour le Mexique.

En compagnie de ma meilleure moitié, je suis allé lui rendre visite à l'hôpital à Bonn. Il était amaigri par la chimiothérapie et une opération ratée. Il nous a offert le café, il était ravi d'apprendre que j'avais trouvé un groupe de musique à Mexico. Nous avons essayé d'éluder si les romans préhistoriques de Rosny l'Aîné pouvaient être considérés comme de la science-fiction. Il est mort en mai 2003. Aujourd'hui il aurait eu 64 ans.

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Rubrique "c'est quoi cette chanson?": Une de l'un des artistes préférés du professeur Knabe. Spécial dédicace.

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