Challenge "Des gens qu'on aime": 16. Quelqu'un qui a les cheveux noirs

Préambule: Je tiens à certifier sur l'honneur que les cheveux noirs, c'est pas ça qui manque, au Mexique. Je change donc l'intitulé en "quelqu'un de Mexicain qui a les cheveux blonds", puisque dans ce pays comme partout ailleurs, on en voit de toutes les couleurs et des vertes et des pas mûres.

M., je l'ai rencontré dans un café de la Cuauhtémoc. Elle a dû nous entendre parler français, et la voilà qu'elle me demande si je ne voulais pas donner des cours de français. Heu, ouais (bruit de caisse enregistreuse old school). Renseignement pris, il s'agissait d'un cours pour environs seize personnes (bruits de toute une batterie de caisses enregistreuses old school) et ce serait à Santa Fe (bruit de sirènes annonçant Enola Gay en passe de larguer la bombe sur Hiroshima). Santa Fe?! Ça faisait loin, à peu près la distance Bastille-La Défense, sauf que dans la bonne ville de Mexico aucun métro ni RER ne vous y emmène. Soit il faut prendre le bus, et alors ça prend un temps monstre, surtout avec les bouchons, soit il faut prendre un taxi, et ça coûte la peau des fesses si c'est un taxi du sitio, ou alors le taxi de rue refuse tout simplement de vous y amener, parce que, c'te blague, c'est trop loin. Mais comme j'avais peu de cours à l'époque, je n'avais pas trop le choix, donc en voiture Simone.

Le cours avait lieu dans les locaux de la filiale mexicaine d'un éditeur US, les premiers essais étaient concluants et M., glace rompue, me proposa de m'y emmener en voiture, donc rendez-vous chez elle au bas de la porte mardi et jeudi matin. M., cheveux blonds, yeux bleus, elle pouvait arriver en jupe écossaise et chemisier blanc façon Carnaby Street 1967 et on l'aurait pris pour une petite Anglaise. Elle est pourtant 100% mexicaine - la preuve: elle est toujours en retard, ce qui fait que parfois, on arrivait à Santa Fe, et il ne restait plus que quelques minutes de cours, juste le temps de dire bonjour, de m'excuser et de repartir chez moi bredouille. En voiture cependant, elle faisait preuve d'un multitasking extraordinaire. D'une main, elle tenait le volant, de l'autre, elle se maquillait, coincé entre l'épaule et la joue, il y avait son portable, entre les orteils du pied gauche elle tenait une cigarette, et les orteils du pied droit manipulaient l'auto-radio, toujours à la recherche d'une chanson potable. J'exagère à peine. 

J'assistais ainsi involontairement à quelques conversations via portable qui me laissaient admiratifs. Il m'apparut que pas mal de choses la tracassaient et que ces choses, elle savait les exprimer - ou presque: "How do you say..." elle fit le geste de balayer du sable de son pantalon. "To brush off", dis-je, elle hocha la tête en signe d'approbation et continua son presque-monologue anglophone jusqu'à Santa Fe. Pourtant son job la lassait, sentiment partagé par une partie non négligeable de son équipe, et peu à peu, le groupe se réduisait comme peau de chagrin, ce qui était d'autant plus dommage qu'il y avait foule de gens intéressants dans ce groupe - que l'entreprise n'a pas su retenir. M. partait aussi, et je continuais le cours avec les restants jusqu'à ce qu'on décide d'en rester là.

M. vendit sa voiture, elle appréciait d'avoir enfin le temps de faire de la gym, de méditer et d'aller voir son psy. Les cours reprenaient en privé, dans un café de la Roma, avec deux de ses amis qu'elle avait réussi à convaincre. Nous étions là, tous les quatre, un mardi 19 septembre un peu après treize heures, quand je sentis que quelque chose n'allait pas. M. était la première à réagir: ¡Está temblando! J'en avais déjà vécu, des tremblements de terre à Mexico, mais comme celui-ci aucun. Je sentais mes facultés cognitives se réduire au strict minimum: sortir du café, courir. On s'est réfugié sur le croisement en attendant que ça passe. Finalement, tout le monde autour de nous était sain et sauf, presque pas de dégâts dans les rues adjacentes. M. décida de rejoindre ses parents dans la Cuauhtémoc, et comme c'était mon quartier, je l'accompagnais. C'est sur le chemin du retour qu'on s'est aperçu des dégâts, qui étaient considérables. Reforma, l'avenue principale bordée de gratte-ciels, était noire de monde. Tout le monde tâchait malgré le WiFi saturé d'avoir des nouvelles de ses proches. J'avais repris mes esprits et je surveillai mes alentours, juste au cas où un immeuble allait s'écrouler ou un automobiliste paniqué nous foncer dedans. M. finit par rejoindre sa mère, et je rentrais chez moi. On se souviendra toujours avec qui on était ce jour-là.

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