- Do you speak english?... Parlez-vous français?
C'est un homme, la cinquantaine, bien coiffé, bien habillé, sourire étincelant qui m'apostrophe au croisement des rues Rio Nazas et Rio Rhin. Je réponds par l'affirmative.
- Ah, grâce à Dieu!
Mine soulagée, yeux levés au ciel, comme pour réellement remercier Dieu de lui avoir accordé la faveur de rencontrer un Français en plein centre de México DF.
- On vient de me de dévaliser, poursuit-il, et je dois de toute urgence aller à Cuernavaca. Voyez, c'est tout ce qu'il me reste..
Il me montre quelques pièces jaunes
- On s'est déjà vu, dis-je.
Parti, le sourire. Sa mine se fige, il tente se rappeler. Je l'aide un peu.
- Oui, vous savez, dans ce petit café, il y a quelques semaines....
Je lui file dix pesos et je continue mon chemin.

La dernière fois qu'on s'était vus, il nous avait sorti le même couplet: dévalisé, Cuernavaca d'urgence. J'étais assis à la terrasse du café avec la Chanteuse quand il nous a abordé. Des gens qui font la manche, il y en a partout tout le temps de tous les âges à Mexico. Normalement, ça dure quelques secondes à peine, mais ce monsieur-là tenait à nous faire profiter d'un scénario étonnamment bien développé. Il a fini par s'asseoir à notre table et à nous raconter sa vie, qu'il était moitié suisse, moitié iranien, qu'il était de passage à Mexico. La conversation est devenue si plaisante, à tel point que quand une collègue nous a rejoint, elle lui a fait la bise, croyant qu'il s'agissait d'une vieille connaissance. De fait, son scénario était crédible: des gens dévalisés, il y en a partout tout le temps de tous les âges à Mexico. Il aurait pu bien sûr frapper à la porte de l'ambassade de Suisse ou même celle d'Iran, qui l'auraient dépanné – mais bon, comme il y avait urgence. Il est reparti avec 200 pesos en poche; nous, pour un cours de conversation, on n'est pas payé plus.

Le personnage m'intrigue. La prochaine fois que je le vois – et selon toute apparence, il a des attaches dans le quartier – je l'invite à boire un café et je suis même prêt à investir une certaine somme pour qu'il me raconte sa vraie histoire. Mais la saura-t-on jamais?

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